Marina Porobic texte du catalogue de Bellelay 2013
La mise en abîme
Marina Porobic
Les sculptures et les installations de Romain Crelier sont aussi bien conçues pour les espaces intérieurs qu’extérieurs et induisent un lien fort avec l’espace et l’architecture environnante. Le rapport entre les œuvres et l’espace s’établit de différentes manières. La sculpture Unplusunégaltrois (ills. -installations / unplusunégaltrois), créée en 2005 pour le bâtiment administratif de la Haute Ecole Spécialisée de Suisse occidentale, HES-SO, à Delémont, fait référence au volume et aux lignes épurées du bâtiment et évoque aussi, dans ses proportions, l’unité de construction de base qui est la brique. Ici, l’utilisation de matériaux de construction comme le béton ou le plâtre et la forme et les proportions de la sculpture fonctionnent comme des citations renvoyant directement à l’architecture voisine. Par ailleurs, le fait de renoncer à un socle pour la sculpture contribue à son intégration dans l’espace.
Romain Crelier se sert encore d’autres méthodes variées pour jouer avec l’espace : lorsqu’il construit des bibliothèques, des fauteuils, des lits et des tables, ceux-ci sont en béton ou en bois brut (ills. -installations / bibliothèque). Qu’il les exploite dans leur fonction dans les salles d’exposition, ou qu’il les décontextualise fortement en les plaçant sous un arbre comme pour la triennale de sculpture Bex & Art, il fait surgir, dans l’espace public, des éléments de l’environnement domestique. Les limites entre espace privé (représenté par les objets fonctionnels) et espace public (centre d’art, exposition en plein air, etc.) sont ainsi estompées.
Dans l’installation La Mise en abîme, exposée durant l’été 2013 à l’abbatiale de Bellelay, Romain Crelier se sert de la figure de style de la mise en abîme. L’espace devient ici une partie constituante de l’œuvre.
Trois récipients circulaires sont assemblés en une forme unique qui s’étend le long de la nef. Une seconde forme, légèrement plus petite, occupe le chœur. En entrant dans l’abbatiale, on ne perçoit pas l’installation dans toute son ampleur ; au premier coup d’œil, le dialogue entre l’architecture et l’espace est à peine visible. Il apparaît cependant peu à peu à deux niveaux. D’une part au niveau des dimensions, car le diamètre des différents récipients correspond à celui des voûtes des chapelles adjacentes. Au niveau de leur contenu d’autre part, car l’espace se reflète dans ces récipients. L’espace de l’abbatiale, en tant que contenant de cette installation, devient ainsi lui-même contenu : une image dans l’image, une mise en abîme.
Les récipients sont remplis d’huile de moteur usagée. Cette matière fascine par sa particularité physique de refléter l’espace. La noirceur de ce déchet évoque un abîme insondable et en expansion. L’abbatiale semble sombrer, avalée par ce gouffre sans fond. La réflexion de l’espace dans cette surface calme et lisse permet à l’artiste d’ouvrir le spectateur à un autre niveau de perception.
En se déplaçant le long de la ligne ondulée qui délimite la mare d’huile, il découvre toute la dimension de l’installation. Celle-ci, cependant, pourrait le mener dans une voie sans issue. Le passage direct au chœur depuis la nef est en effet limité, car l’installation atteint les escaliers ou encore les piliers, ce qui empêche le visiteur de déambuler entre les chapelles. Il est contraint de se réorienter dans l’espace et de trouver un autre chemin.
Les formes simples de l’installation et le reflet de l’espace dans l’huile attirent le spectateur dans l’œuvre, et placent par conséquent leur relation au premier plan. Ainsi, dans cette installation, l’interaction entre le spectateur et l’espace est créatrice de sens. Mais elle recèle aussi un certain potentiel de désarroi et peut provoquer un léger vertige. Ce qui étonne en effet n’est pas seulement le reflet parfaitement net dans l’huile, mais aussi le volume de l’image réfléchie et la force de l’architecture. Le voile gris qui dans le reflet s’étend des piliers à la voûte en souligne le caractère monumental.
En hauteur, depuis les galeries, le visiteur découvre la force graphique de cette installation, qui évoque très nettement les dessins au graphite de Romain Crelier (ills. -dessins / graphite). Depuis 1995, l’artiste dessine des formes abstraites et simples sur un papier blanc qu’il a préalablement immergé dans l’huile de moteur. Ces travaux témoignent de son intérêt persistant pour la richesse des rapports de contrastes entre le noir et le blanc, et pour l’interaction de matériaux aussi banals que surprenants que sont l’huile usagée et le graphite qui, en tant que lubrifiant solide, est l’un des composants de l’huile usagée. Instinctivement, Romain Crelier confronte ces matériaux dans ses dessins afin d’obtenir une densité de noir qui évoque le gouffre, à l’instar de l’installation La Mise en abîme.
Le jeu est un autre fil rouge dans l’œuvre de Romain Crelier, qu’il s’agisse du jeu avec le matériau, comme ici l’huile usagée, avec les formes ou encore avec la perception du spectateur. Ses travaux sont par exemple souvent constitués d’éléments répétés. Le jeu avec la répétition et la multiplication d’une seule et même forme est une figure de style utilisée dans l’installation La Mise en abîme. Celle-ci est en effet composée de six modules circulaires, dont quatre sont identiques et interchangeable. Leur caractère reproductible suggère la possibilité d’une prolongation infinie de l’installation dans l’espace.
Dans le même esprit, en 2004, l’artiste collabore avec Philippe Queloz et crée pour la Galerie des Emibois un travail en briques (ills. -installations / le mur). Il dessine un modèle de brique, qu’il reproduit en grand nombre dans un four monumental construit pour l’occasion et détruit ensuite. Romain Crelier empile ces briques comme des éléments de Lego pour en faire un mur. Un fragment du mur est visible, mais par la pensée, le spectateur peut en poursuivre l’édification jusqu’à l’infini ou le recomposer sous une autre forme. En tant que proposition ce travail est conçu pour un laps de temps relativement court dépendant entre autre des caprices climatiques. Ce caractère éphémère et l’emplacement dans un lieu inhabituel permettent à l’artiste de mettre en cause le statut de l’œuvre d’art et de souligner l’importance de l’espace dans son identification en tant que telle.
En 2004 également, l’artiste créé pour le Musée Jurassien des Arts à Moutier un travail (ills. - sculptures -objets / chaises) composé de plusieurs chaises. La forme est simple, la disposition est systématique et pourrait potentiellement se répéter à l’infini. La couleur neutre, naturelle de ces modèles en panneaux MDF contribue au fait que la disposition fonctionne comme une unité, et pourtant elle place le spectateur devant un dilemme : s’agit-il d’une sculpture ou de chaises ? Comme pour l’installation La Mise en abîme, le spectateur peut exploiter le champ des possibilités pour disposer les différents éléments de construction.
Le jeu avec les possibilités d’agencement est aussi un jeu avec la perception du spectateur, en même temps qu’un défi à notre façon habituelle de regarder. Romain Crelier la met déjà à l’épreuve avec un travail qu’il a créé en 2012 dans le cadre d’une exposition à l’espace d’art contemporain (les halles) à Porrentruy : six photogrammes sur lesquels apparaît un volume (ill. -photographies / photogrammes). S’agit-il de lignes blanches sur un fond noir ? Ou de simples formes géométriques ? Cette forme existe-t-elle réellement ? Le fait de laisser visibles les zones de collage permet en même temps de reconnaître la référence à un volume. Romain Crelier a construit ce volume en verre et l’a posé directement sur le papier photographique et exposé à une source de lumière. La proximité de l’objet avec la source lumineuse a produit une image légèrement déformée. Cette approche permet à l’artiste d’obtenir un résultat qui instille le doute. En l’observant, une incertitude subsiste quant à savoir quelles lignes sont à l’avant-plan et lesquelles sont à l’arrière-plan. Si notre regard habituel nous fait percevoir comme nettes des lignes proches et floues des lignes éloignées, Romain Crelier remet précisément cette hypothèse en question. La perception est dirigée par nos expériences, mais si la contemplation de l’image se prolonge, l’image bascule brusquement et notre perception s’en trouve perturbée.
Avec son installation La Mise en abîme, Romain Crelier offre au visiteur de l’abbatiale de Bellelay une nouvelle perspective de l’espace autrefois sacré. Le regard habituellement dirigé vers le haut est attiré dans la direction contraire par les surfaces noires. Le spectateur contemple ainsi l’espace et lui-même dans le reflet de la mare noire.
La mise en abîme
Marina Porobic
Romain Creliers Skulpturen und Installationen bespielen sowohl Innen- wie Aussenräume und treten in Dialog mit dem Raum und der ihn umgebenden Architektur. Der Bezug der Werke zum Raum ist nicht immer ersichtlich. Denn einerseits entsteht er durch den Gebrauch einfacher Materialien aus dem Bauwesen, wie Beton und Gips, oder durch Formen, welche als Zitate auf eine Architektur verweisen. Die Skulptur Unplusunégaltrois (Ills. -installations / unplusunégaltrois), 2005 für das Verwaltungsgebäude der Fachhochschule Westschweiz, HES-SO in Delsberg entstanden, lehnt sich an das Volumen und die klaren Linien des Gebäudes an und erinnert an Bauelemente wie Ziegelsteine. Andererseits trägt der Verzicht auf ein Podest für die Skulpturen dazu bei, dass sie in den Raum eingebettet sind und diesem die gleiche Bedeutung zukommt wie den Werken selbst. Aber Romain Crelier bedient sich noch weiterer, vielfältiger Methoden, um Räume zu kreieren oder sie ins Werk zu integrieren: Räume, welche Assoziationen an die häusliche Umgebung wecken, entstehen wenn Romain Crelier Bibliotheken und Sessel, Betten und Tische aus Beton oder unbearbeitetem Holz baut (Ills. -installations / bibliothèque) und in den Ausstellungssälen anordnet, oder gar dem gewohnten Kontext entreisst und sie, wie für die Skulpturentriennale Bex & Art, unter einen Baum stellt (Ill. 19). Die Grenzen zwischen funktionalen Gegenständen und Kunstwerk werden verwischt.
Räume werden aber auch zum Bestandteil eines Werkes, wenn sich Romain Crelier des Stilmittels der Mise en abîme bedient. So auch für die diesjährige Sommerausstellung in der Abteikirche in Bellelay, die ebendiesen Titel trägt.
Drei kreisförmige Behälter werden zu einem Gebilde zusammengefügt, einer Einheit, die sich über das Kirchenschiff erstreckt. Die zweite, etwas kleinere Einheit nimmt den Chor ein. Beim Eintreten in die Abteikirche ist die Installation nicht sofort als Ganzes wahrnehmbar, der Dialog mit der Architektur erschliesst sich nicht auf den ersten Blick. Doch dieser findet auf zwei Ebenen statt. Auf der formalen Ebene einerseits, denn die Durchmesser der einzelnen Behälter entsprechen den Durchmessern der Arkadengewölbe vor denen sie sich befinden. Andererseits wird der Raum in diesen Behältern gespiegelt. Er wird somit zum Inhalt selbst: ein Bild im Bild, eine Mise en abîme.
In den Behältern befindet sich gebrauchtes Motorenöl, das durch seine ästhetische Funktion, den Raum zu reflektieren, besticht. Die Schwärze dieses Abfallproduktes gleicht einem Abgrund (un abîme), der aufzugehen scheint und die Abtei in eine unendliche Tiefe abtauchen lässt. Seine ruhige, glatte Oberfläche erlaubt es dem Künstler durch Spiegelung des Raumes dem Betrachter eine andere Wahrnehmungsebene zu eröffnen. Die ganze Dimension der Installation erfasst dieser durch Bewegung im Raum, der wellenförmigen Linie entlang, rund um die Öllache. Aber diese führt ihn vielleicht in eine Sackgasse. So ist der direkte Durchgang vom Schiff in den Chor durchs Tor erschwert oder eine Säule versperrt den Weg. Der Besucher ist gezwungen, sich im Raum neu zu orientieren und seinen Weg zu ändern. Die einfachen Formen der Installation und die Spiegelung im Öl ziehen Raum und Betrachter ins Werk hinein und rücken somit ihre gegenseitige Beziehung in den Vordergrund. Die Auseinandersetzung des Betrachters mit dem Raum ist dadurch auch in dieser Installation sinnstiftend. Sie birgt ein gewisses Verunsicherungspotenzial und kann Schwindel erregen. Denn erstaunlich ist nicht nur, welch klares Spiegelbild im Öl entsteht, sondern auch die Voluminösität des reflektierten Bildes, die Wucht der Architektur. Der graue Schleier, der sich im Spiegelbild über Säulen und Gewölbe zieht, unterstreicht ihren monumentalen Charakter.
Von den Galerien aus erschliesst sich dem Besucher der grafische Aspekt dieser Installation, der stark an Romain Creliers Grafitzeichnungen (Ills. -dessins / graphite) erinnert. Seit 1995 entstehen diese abstrakten, ebenfalls einfachen Formen auf -weissem Papier, das vorab in Motorenöl getränkt wurde. Sie zeugen von Creliers anhaltendem Interesse am kontrastreichen Verhältnis zwischen Schwarz und Weiss sowie am Zusammenspiel der ebenso banalen wie erstaunlichen Materialien, wie Motorenöl und Grafit, der als Festschmiermittel ebenfalls ein Bestandteil des Altöls ist. Instinktiv führt Romain Crelier diese Materialen in seinen Zeichnungen zusammen, um eine Dichte zu erreichen, die den Blick, ebenso wie in der Installation La Mise en abîme, in die Tiefe entführt.
Bei der Ansicht von oben drängt sich dem Betrachter auch der spielerische Charakter dieser Arbeit auf, der sich wie ein roter Faden durch das ganze Schaffen Creliers zieht. Sei es als Spiel mit dem Material, hier Altöl, mit den Formen oder als Spiel mit der Wahrnehmung. So bestehen seine Arbeiten häufig aus sich wiederholenden Elementen. Das Spiel mit der Wiederholung und Vervielfachung ein und derselben Form ist ein Stilmittel, welches auch in der Installation La Mise en abîme eingesetzt wird. Sie besteht aus sechs kreisförmigen Modulen, Bauelementen, wovon vier identisch und variabel sind. Ihre Austauschbarkeit untermalt die ephemere Natur dieser Installation und suggeriert die Möglichkeit einer Weiterentwicklung im Raum.
Schon im Jahr 2004 entstand in Zusammenarbeit mit Philippe Queloz eine Arbeit aus Backstein für die Galerie des Emibois (Ills. -installations / le mur). Crelier zeichnete Modelle für Backsteine und brannte diese anschliessend in einem eigens dafür erstellten Ofen. Dieser monumentale Einwegofen wurde nach dem Brennvorgang zerstört und die Ziegel Legosteinen ähnlich zu einer Mauer aufgebaut. Ein Fragment der Mauer war sichtbar, doch gedanklich konnten Besucher sie ins Unendliche weiterbauen und neu zusammensetzen. Als eine Möglichkeit, eine Idee, ist das Werk für eine begrenzte Zeitspanne bestimmt. Durch den ephemeren Charakter und die Platzierung an ungewöhnlichen Orten stellt Romain Crelier den Status des Kunstwerks in Frage und unterstreicht die Rolle des Ortes für die Identifizierung eines Kunstwerks als eben solches.
Ebenfalls 2004 entstand für das Musée Jurassien des Arts in Moutier eine Arbeit aus mehreren Stühlen (Ills. -installations / bac et néons). Die Form ist simpel, die Anordnung systematisch und unendlich weiterführbar. Die neutrale, natürliche Farbe dieser Modelle aus MDF-Platten trägt dazu bei, dass die Anordnung als Einheit wirkt und den Betrachter dennoch vor ein Dilemma stellt: Handelt es sich um eine Skulptur oder um Stühle? Der Möglichkeitsbereich der Anordnungen einzelner Bauelemente kann, wie in der Installation La Mise en abîme, in der Vorstellung des Betrachters ausgeschöpft werden.
Das Spiel mit Möglichkeiten ist auch ein Spiel mit der Wahrnehmung und eine Herausforderung an unsere Sehgewohnheiten. Eben diese stellt Romain Crelier 2012 im Rahmen einer Ausstellung im espace d’art contemporain (les halles) in Pruntrut auf die Probe: sechs Fotogramme, auf denen ein Volumen zu sehen ist (Ills. -photographies / photogrammes). Sind es weisse Linien auf schwarzem Grund? Oder sind es einfache geometrische Formen? Ist es gar ein existierendes Gebilde? Durch die Sichtbarkeit der Klebestellen wird eine Referenz an ein Modell erkennbar. Romain Crelier baute dieses aus Glas, stellte es direkt auf das Fotopapier und beleuchtete es. Durch die Nähe des Objektes zur Lichtquelle entstand ein leicht verzerrtes Abbild. Bei dessen Betrachtung ist nicht klar, welche Linien im Vorder- und welche im Hintergrund stehen. Es entspricht unserer Sehgewohnheit, dass uns naheliegende Linien scharf erscheinen und entfernte verschwommen, doch stellt Romain Crelier genau diese Annahme in Frage. Die Wahrnehmung wird von unseren Erfahrungen geleitet, doch plötzlich kippt das Bild bei längerer Betrachtung und unsere Wahrnehmung verändert sich.
Mit der Installation La Mise en abîme bietet Romain Crelier dem Besucher der Abteikirche von Bellelay eine neue Perspektive auf den ehemals sakralen Raum. Die schwarzen Flecken ziehen den üblicherweise nach oben gerichteten Blick in die entgegengesetzte Richtung. So betrachtet der Besucher den Raum und sich selbst als Spiegelung in der schwarzen Lache.